à propos de Martin Spreng

Blasius Spreng, ‘Liederhalle Stuttgart’
Fils du sculpteur Blasius Spreng dans l’atelier duquel, enfant, il était en permanence fourré, petit-fils d’un grand-père ébéniste jamais connu et, du côté maternel, d’un grand-père architecte, le jeune Martin a donc baigné dès le berceau dans le grand bain de la création.

L’HÉRITAGE DU PÈRE

Adolescent pourtant, cherchant à échapper à l’influence paternelle, il décide de s’orienter sur des études en biochimie. Mais très vite, réalisant que ce genre de voie s’avérait par trop abstraite pour son esprit axé sur le concret du manuel, parce qu’aussi « bon sang ne saurait mentir », le voilà à marcher sur les traces de son père. Lequel, avant de s’adonner corps et âme à la sculpture, exerçait la profession de … bijoutier ! « Toute mon enfance, je l’ai vu faire des bijoux en or fin. Il en concevait les empreintes puis en confiait la production à des orfèvres ». Martin Spreng hésite un temps entre entamer un apprentissage en orfèvrerie et se rapprocher de l’activité de sculpteur de son géniteur par le biais d’une initiation à l’ébénisterie. Après réflexion, mû par le désir de vouloir s’exprimer sur des surfaces autrement plus importantes que celles, réduites, des bijoux, il opte pour un apprentissage dans un atelier d’ébénistes de Munich où il y reste deux ans.
Il part ensuite pour la France, pays envers lequel sa grand-mère francophile et francophone lui a inculqué l’amour au point de l’amener à passer son baccalauréat dans la langue de Molière et qu’il connaît bien pour y passer régulièrement ses vacances depuis l’âge de quatorze ans. Autant d’atouts qui lui permettent de pouvoir intégrer deux ateliers très réputés du faubourg Saint-Antoine pour leur virtuosité à fabriquer des copies de meubles anciens de très haut niveau. Il y apprend notamment la sculpture et la marqueterie, deux disciplines dont il ne tarde pas à passer maître.

Philippe Dayan 2010

UN LONG PARCOURS D’ÉBÉNISTE

La route croise alors celle de Francis Ballu, ébéniste de formation et premier prix au concours des meilleurs ouvriers de France, et de Rémi Colmet Daâge, architecte et ébéniste. Un « coup de foudre » professionnel qui les amène à associer leur créativité et compétences sous le nom de GROUPE XYLOS (bois en grec). Le trio, bientôt rejoint par un quatrième compère, Philippe Delaflotte (qui s’en ira au bout de dix ans), ne tarde pas à se tailler une très belle réputation auprès des collectionneurs internationaux pour leur production en pièce unique de mobilier et de décors muraux aux lignes et aux marqueteries fortement sous influence de l’art contemporain. Il est ainsi possible d’admirer un de leur panneau mural dans la pièce d’accueil qui se trouve devant la grande salle du Conseil de la Mairie de Parie, un bas-relief exécuté pour Cartier à Aix-les-Bains ou bien encore deux grands panneaux au Palais des Congrès de Stuttgart. Une activité qui n’a jamais empêché Martin Spreng de réaliser en parallèle des bijoux en ébène d’abord, puis, depuis une quinzaine d’années, des bijoux en or. Ce qui l’avait d’ailleurs incité à suivre une formation en bijouterie à l’école Nicolas Flamel afin d’apprendre les différentes techniques du métier (dont le sertissage) et des cours de gemmologie. Il n’imaginait cependant pas abandonner un jour sa casquette d’ébéniste au profit de celle de joaillier.

L’ APPEL DE LA JOAILLERIE

En 2007, il organise un première exposition avec une douzaine de bijoux exclusivement en or. « A ce moment-là, je n’aimais pas les diamants et les pierres précieuses. Ce n’est qu’en m’aventurant plus avant dans l’univers de la joaillerie que j’ai commencé peu à peu à m’y intéresser et à les apprécier ». Plus particulièrement attiré par les aigue-marine, les chrysobéryls, les opales et les rubis, celui qui ne définit jamais totalement au départ ses créations en raison de son intervention constante sur les matériaux comme peut le faire un sculpteur (ce qui lui a valu d’être baptisé « l’ébéniste d’or » par la presse allemande), choisit ses pierres d’abord en fonction de la pulsion créative qu’elles provoquent en lui. Et tant pis si certaines d’entre elles présentent un défaut de type inclusion. Consacrant depuis désormais un an quasiment toute son énergie à l’élaboration de son univers de créateur-joaillier, Martin Spreng entend bien, à l’instar de la philosophie animant le Groupe Xylos, appliquer pleinement le principe de pièce unique. Des bijoux vendus soit directement à une clientèle de particuliers, soit par le biais de galeries spécialisées comme celle d’Elsa Vanier à Paris. Une volonté qui ne l’empêche toutefois pas de songer à la réalisation d’une mini série de bijoux à base d’ébène et d’argent inspirés de la broche qui lui a permis d’attirer l’attention. Pas vraiment de la diffusion, mais à des prix tout de même plus accessibles que ceux de ses extraordinaires pièces uniques.

MARTIN SPRENG, UN STYLE

Héritier des savoir-faire de la haute joaillerie, de l’ébénisterie et des Beaux-Arts, Martin Spreng laisse ici et là sur ses bijoux des clins d’oeil à son parcours. Par exemple, sa technique héritée d’un ancien atelier munichois par l’intermédiaire de son père, symbolisée par le poinçon d’atelier, la petite chèvre, qu’il conserve. Ou bien par cette manière d’envisager les bijoux comme il envisageait le design au sein du collectif Xylos dans les années 81/2011, et dont sa manière d’associer les matières semble directement issue. Cependant, et c’est une caractéristique de Martin Spreng, il aime veiller au cadre de ses origines pour mieux le dépasser. Lorsqu’il transcrit une mélodie pour décorer une alliance, c’est en gravant carrés et rectangles à la manière de la notation graphique des Klavierstücke de Stockhausen. Et s’il utilise volontiers or, argent et pierres précieuses, il aime les mettre en valeur en les apposant au titane, à ses infinies nuances et son aspect plus brut d’une part, mais aussi à sa légèreté rendant les bijoux plus faciles à porter. Harmonie de l’usage, du sens, de l’esprit et de la matière. Les créations de Martin Spreng ne sont jamais figuratives, mais tout comme chez les peintres de l’abstraction lyrique, elles ne cessent d’évoquer la nature, dans ses dimensions cosmiques, terriennes ou biologiques. Martin Spreng propose le fruit de sa propre contemplation du monde, dans une approche poétique proche de celle de Ralph Waldo Emerson dans son fascicule “La Nature”. C’est certainement une des raisons pour laquelle il se dégage des bijoux de Martin Spreng un profond lyrisme : richesse des formes, jeux des confrontations (couleurs, formes, styles, richesse), moteurs d’émerveillement en même temps que d’une certaine dramaturgie. Cela n’est pas sans rappeler le Lied von der Erde de Mahler. Car comme chez Mahler, la recherche de perfection de Spreng ne se confond pas avec le dénuement mais au contraire, elle est au service de la représentation exaltée d’une bouillonnante harmonie, d’un équilibre de formes en interdépendance, et d’une poétique des liaisons, tantôt précises jusqu’à l’effacement (jointure de la Sphère Xylos) ou bien fracture (association de l’or et du titane de certaines bagues), voire failles. Pour autant, le lyrisme de Martin Spreng est toujours sous-tendu par le carré de la matière et son organisation. Tout fait sens. Le bijou est un symbole, en résonance avec les signes des matières, eux-même fidèles reflets de la pensée de l’artiste, et toujours conçu pour être portés. L’aspiration à l’unité serait-elle la recherche ultime du joaillier ? Martin Spreng prendrait-il au pied de la lettre le sens original du mot grec pour parure (“cosmos”) ? Et s’il nous invitait à porter sur nous un univers tout entier que comme par magie il aurait réussi à contenir dans chacun de ses bijoux ?

Mathieu Schlegel